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"Je ne suis pas favorable à l'action directe, a dit Pavlo, mais comment agir, sinon ? Il n'y a pas d'autre possibilité que la violence. Si nous ne l'utilisons pas alors nous acceptons d'être corrompus et de devenir des contestataires officiels, comme la Russie en a produit à chaque génération. C'est eux qui nous forcent à cette extrémité, c'est leur condescendance.
Et l'inertie des gens de notre âge, aussi, a ajouté Marko. Ils ont besoin qu'on montre l'exemple. Les manifestations ça ne sert à rien. Le militantisme ça ne sert à rien. Il faut arrêter de tourner en rond comme des abrutis. Il faut rentrer dans le lard du spectacle et lui botter le cul assez fort pour qu'il ait mal pour de vrai. Il faut lui faire vraiment peur. Alors seulement les autres se soulèveront. Pour l'instant la trouille et le découragement les paralysent. Mais si on leur montre que c'est possible d'être plus méchants que les salopards d'en face tout peut basculer.
Nous nous souvenions des émeutes survenues trois ans plus tôt, quand un ancien militaire, une crapule corrompue et liée au Clan des cinq, avait été élu président. Nous n'avions pas oublié les gaz de combat, les matraques en acier, les membres cassés, les balles tirées par les unités spéciales ; nous n'avions pas oublié leurs nouvelles armes, celles qui provoquaient des nausées, des arrêts cardiaques, des détresses respiratoires, des crises d'angoisse.
Mais par-dessus tout nous n'avions pas oublié la manière dont en moins de six mois tout s'était dégonflé. Le découragement. Chacun se rendant qu'une ordure nationaliste au pouvoir ça ne changeait rien. Juste un salaud de plus, ni pire, ni meilleur que le salaud précédent. Alors la contestation avait cessé. Asphyxiée. On ne combat pas un ennemi trop insaisissable pour qu'on puisse le haïr. Les forces s'épuisent si aucun aiguillon ne les stimule. Les choses sont globalement revenues à la normale. Mais ici ou là des groupes ont continué la lutte. Certains ont terminé en prison. D'autres, comme Marko et ses camarades sont passés entre les gouttes. Moi j'ai rencontré Sergueï et Pavel et on a mis au point la danse de mort."
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