1. |
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Le don du sang
La météo
Les rodéos
L'autocar aux heures de pointe
Les desserts à la cantine
Et les vestiaires à la piscine
Les promenades en famille
La caisse du chat
Les médicaments génériques
Les sosies de Michel Sardou
L'inondation du ciel
La demande d'ajout à ta liste d'amis
Tout est satanique
La politesse au sein de la hiérarchie
Yaourt aux fruits
Fromage 0% et pizza
Le rituel ciné bowling
Les appels en absence
Le gras du bide
Les résultats d’analyse
La surface de réparation
La place de parking devant l'entrée
Le deux pièces cuisine proche centre ville
Tout est satanique
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2. |
La misère (Avenir cover)
04:13
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Dans un monde exotique la beauté est partout
Trouver le petit trou et la dernière bière
Rien à branle du mystère
Fredonner fredonner
Recevoir le regard
Et sans honte de désir
Enrober les baisers absorber les amours
Se faire une petite coupe
Les cheveux pleins de fumée
Manger aux tables à deux dans les croisières de nuit
Les sens sont périmés
De plaisir infini
Illusion d'un réveil jamais se réveiller
Viens danser sur ce slow
Faut finir tout c'qu'y a
Et puis demain matin
Un réveil loin de toi
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3. |
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Un bon vigile c'est celui qui tape
Un bon vigile avec son oreillette
Un bon vigile c'est celui qui cogne
Un bon vigile bras droit de la France
Un bon vigile
Un beau métier
La larme à l'oeil, je pense aux vigiles
Aux vigiles qui souffrent
Aux vigiles qui suent
Aux vigiles qui bossent pour ma sécurité
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4. |
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Et dire que chaque fois
Que nous votions pour eux
Nous faisions taire en nous
Ce cri, ni dieu ni maître
Dont ils rient aujourd'hui
Puisqu'ils se sont faits dieux
Et qu'une fois de plus
Nous nous sommes faits mettre
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5. |
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L'amour n'est pas une maladie infantile
Dimitri Samarine et Aline Kouznetsov, 2025
Dimtri Samarine a dix-sept ans. Il est très amoureux. D'après lui c'est le seul truc bien de toute son existence.
Il vit avec ses parents dans un immeuble moche du prospekt 718, dans le rajon 13, à l'extrême sud de la ville. Leur kvartal, situé près de la zone militaire interdite, est l'un des plus éloignés de la Zona - l'échangeur central aussi que les décharges les plus proches sont à dix kilomètres à vol d'oiseau - et aussi l'un des moins pollués. Si le reste de ce vaste secteur considéré comme une banlieue est occupé par d'énormes villas entourées de hauts murs et protégées par des hommes en arme, sa pointe sud, où se trouve notamment le terminus du chemin de fer qui relie Mertvecgorod à la mer d'Azov, est une enclave de travailleurs pauvres. Beaucoup sont employés par l'armée, les douanes ou les compagnies de fret. D'autres alimentent le constant besoin des riches habitants du rajon en personnel de maison et larbins divers. Un nombre important, sans occupation, survit d'expédients et de petite délinquance.
[...]
Dimitri n'aime pas ses parents. Il les trouve cons. C'est vrai qu'ils le sont, un peu. Ils picolent trop, s'engueulent trop, se mettent des beignes dans la gueule, n'aiment pas les Turcs, les Syriens ou les narkomani. N'aiment pas grand monde. Haïssent les riches et ne supportent pas les pauvres. Méprisent leurs voisins larbins comme eux et envient les gros richards et leurs villas monstrueuses de mauvais goût. Ils bossent comme des abrutis, se crèvent à la tâche et gagnent à peine de quoi survivre. Dimitri refuse cette vie-là et les idées qui vont avec, refuse de crever à petit feu pour payer une nouvelle piscine ou une Ferrari à un type qu'il ne rencontrera jamais, refuse de devenir con et puis alcoolique pour oublier sa tristesse. Pourtant c'est cette vie-là qui l'attend. Ça ou la délinquance. Guère d'autres possibilités. Bien sûr il pourrait foutre le camp, tenter sa chance à Moscou ou même à l'Ouest, voir comment ça se passe, mais il manque de courage et il le sait.
Et il y a Alina. Elle est heureuse ici, elle. Ses parents possèdent un peu plus de fric. Son père gère un petit supermarché, sa mère est médecin. Elle veut faire des études.
Les seules choses qui plaisent à Dimitri c'est taper des anfetamini, zoner en ville et passer le plus de temps possible avec Alina.
[...]
Dimtri déteste son physique. Peau de porcelaine, yeux de poupée. Avant ses cheveux blonds et souples comme une pub pour shampooing lui donnaient l'air d'un gamin fragile. Avec son crâne rasé ça s'améliore un peu, même si on ne le prend toujours pas pour la terreur qu'il rêverait d'être.
Son téléphone vibre enfin. C'est Alina. Elle lui signale qu'elle l'attend en bas. Deux heures qu'il guette ce message, son coeur accélère, un sourire éclaire son visage. Dans ses oreilles Ratibor gueule des histoires de loup du crépuscule, de nuit et de brouillard, d'avènement du soleil le plus noir - la chanson date de plus de vingt ans mais résonne en Dimitri comme si elle avait été écrite la veille, comme si Gorruth et sa bande ne l'avaient composée que pour lui.
Dans son sac il fourre son iPad (qui contient toute la musique qu'il faut), un petit ampli cubique qui crache bien, du tabac à rouler, le reste de speed, du shit, la vodka déjà entamée et une neuve au cas où. Il enfile un manteau épais, dans la poche un cran d'arrêt en cas de mauvaise rencontre, et lacé serré ses imitations de Doc Marten's qui lui donnent l'allure, il l'espère, d'un punk anglais ou d'un hooligan. Avec son teint pâle, ses joues creuses et son regard fiévreux il ressemble plutôt à un zonard du coin mais ça n'est déjà pas si mal.
Ce soir c'est une nuit spéciale. Ça fait un an jour pour jour qu'ils sont ensemble. Alina habite le kvartal voisin. À quelques minutes à pied. Ils fréquentent le même lycée et se sont rencontrés dans le bus. Personne n'est au courant de leur relation. Tout le monde s'en foutrait, du reste. Mais ça leur paraît plus romantique ainsi.
[...]
Ils s'embrassent et se mettent en route sans tarder. Une bonne trotte jusque là-bas et pas beaucoup de temps. Il est vingt-trois heures et ils doivent chacun être de retour dans leurs lits respectifs à sept heures du matin.
Vingt minutes de marche jusqu'au métro, autant de temps passé sous terre et encore vingt minutes à travers les rues sinistres jusqu'à leur destination favorite. Tout ça accompagné par du black metal craché par le petit haut-parleur portable.
Ils se rendent au bord de la Zona, au centre presque exact de la ville, à deux pas de l'échangeur des autostradi 1 à 8. Sur la rive sud du no man's land se trouve le but de leur balade : la tour Joukov, qui aurait dû être le bâtiment le plus élevé de toute la ville.
[...]
Ce squelette de cinquante-trois étages au trois premiers intégralement tagués, ouvert aux quatre vents, battu par le froid et la pollution, de plus en plus sale, laid, vacillant et dangereux, est une dent cariée plantée au bord de la Zona comme dans une gencive malade. Trop inhospitalière pour attirer les squatteurs, trop moche pour intéresser les touristes, elle ne suscite qu'indifférence et pourrit dans la solitude. Le jour où elle s'effondrera elle tuera une poignée de clodos, on déblaiera les gravats et on n'en parlera plus.
7Dimitri et Alina ont l'habitude de grimper au sommet. Il n'y a aucun escalier mais, en s'aidant des échelles métalliques bouffées par la rouille installées naguère par les ouvriers et en faisant étape sur les dalles de ciment nu couvertes de merde de rat, accéder au dernier étage s'avère plus facile qu'on pourrait le penser.
Cinquante-trois étages. Une épopée. Il faut des forces. Heureusement il y a la vodka et les anfetamini. Et la musique, bien sûr, toujours aussi violente.
[...]
Cinquante-trois étages. Trois heures en comptant les nombreuses pauses. Il est quatre heures du matin. Ils sont à bout de souffle. Ils ont une heure devant eux avant de devoir repartir et rejoindre leurs lits respectifs, la vie normale, faire semblant de s'éveiller, se retrouver dans le bus, dormir en classe pour Dimitri, ne pas dormir du tout pour Alina.
Au sommet, une dalle de béton de trois cent mètres carrés percée de piliers en ciment de trois mètres de côté et dix de haut, fantômes de la structure inachevée des étages suivants.
Le couple se tient debout, congelé et à bout de souffle, à cent cinquante mètres du sol. Un vent glacial et chargé d'une pollution noire et gluante comme de la suie leur bat les flancs et lutte si fort contre leur présence ici qu'ils ne peuvent même pas parler. La musique s'effiloche en fantômes d'échos. Ne pas se faire emporter dans le vide réclame une concentration et un effort de chaque seconde mais ils s'en foutent, ils ont asse parlé.
Ils vont aussi près du bord que possible sans risquer d'être précipités en bas par une bourrasque plus vicieuse que les autres. Ils regardent et se tienne par la hanche. Le smog est épais mais pas assez pour les empêcher de contempler la ville. À cette hauteur et à travers cette purée dégueulasse elle apparaît comme une hallucination monstrueuse ou un spectre.Il leur semble, à chaque foi qu'ils sont ici et observent la mégapole à perte de vue dans la nuit et la brume, qu'ils ne voient pas la ville actuelle, réelle, mais ses reliquats lointains, comme si eux-mêmes occupaient une position si éloignée dans l'espace et le temps que seule une image périmée, fatiguée, pouvait leur parvenir. Il s'agit pour eux d'une pensée réconfortante, heureuse, en aucun cas déprimante.
[...]
Un souffle énorme et brutal le jette à terre, le sépare de son amoureuse d'une dizaine de mètres et emporte la musique. Une détonation d'une violence affreuse les atteint une seconde plus tard. Puis une boule de feu saccage tout. Enfin une tempête de poussière s'abat sur eux. Trente secondes s'écoulent au cours desquelles ils ont le temps de se poser tout un tas de questions et d'éprouver la peur de ne pas se revoir, de mourir sans se revoir. Ils s'accrochent de toutes leurs forces à des bouts de béton qui leur cisaillent les mains, visages lacérés par la bourrasque grise et noire.
Ils restent plaqués au sol plusieurs minutes après la déflagration, sonnés, aveuglés par une tornade de ciment pulvérisé, par le sable et la fumée qui transforment l'air en magma. D'autres explosions leur parviennent. Les échos d'épouvantables fracas, comme si toute la ville se cassait la gueule. Ils tentent de se remettre debout, corps endoloris et couverts de bleus. Ils s'étonnent d'être en vie et ensemble, se prennent dans les bras sans rien dire et s'embrassent. Tout va bien ? Tout va bien. Blessures superficielles, du sang partout, encroûté de suie. Questions inquiètes. Réponses inaudibles. Gestes tendres.
[...]
Puis, comme si le choc avait produit un appel d'air ou détraqué le climat, le vent cesse d'un coup. Poussières et particules tombent au sol comme une neige anthracite et le recouvrent d'un tapis fragile, léger et beau.
Main dans la main le couple approche du bord pour constater les dégâts.
La surprise qu'ils éprouvent est encore plus violente qu'ils le pensaient. En bas, alors que la suie épaisse née de l'explosion se disperse, ils découvrent la fin du monde. À la place de l'échangeur des autostradi 1 à 8 et de l'ossuaire qui se trouvait dessous, plus rien : des flammes, des gravats, des ruines enchevêtrées, des véhicules écrasés sous les centaines de tonnes de béton et d'acier, une fumée noire plus épaisse que l'enfer.
[...]
C'est comme si la terre devenait liquide. Comme si le sol ordinairement dur et solide se transformait en sables mouvants, en goudron bouillant, en lave en fusion. La terre s'ouvre en deux et avale tout. Une crevasse se creuse à travers la Zona en direction du nord et ses bords s'écartent comme une bouche avide et dans le gouffre soudain là comme s'il l'avait toujours été les décombres de l'échangeur tombent, les ruines de la cathédrale, dans les ténèbres, un pilier gros comme un immeuble, le clocher, vingt mètres d'autoroute, les badauds impuissants, des voitures par dizaines, une coulée de bitume et de gravats dégueulant comme une cascade, des véhicules de pompiers pas plus gros que des grumeaux, des grappes de gens, cinquante baraques du bidonville et bientôt plus rien à voir à cause de la poussière compacte qui se soulève en nuages énormes qui s'ajoutent aux colonnes de fumée pour fabriquer un dôme d'obscurité impénétrable et mouvant, un trou noir de plusieurs centaines de mètres de diamètre où éclatent des lueurs sporadiques, rouges, jaunes, blanches.
[...]
- Qu'est-ce qu'on fait ? Demande Dimitri. On rentre chez nous ?
- Je sais pas. T'as envie de rentrer, toi ?
- Non.
- Pourquoi on se casserait pas ?
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- Pour de bon, putain. On fout le camp pour de bon.
Ils se regardent, debout dans le vent qui gagne en intensité et arrache au sol des tourbillons de suie doux et fugaces comme la vie après la mort. Ils ressemblent à des créatures échappées des abysses. Leurs yeux brillent.
Dimitri crache par terre puis se frotte le visage et se rince la bouche à la vodka. Dans tout ce chaos la bouteille a réussi à ne pas se briser. Il la passe à Alina.
- Tu veux une trace ou un pétard ? il demande
- Les deux, bordel. Je veux les deux. Et aussi que tu me sautes ici, dans la poussière, avec les fantômes qui nous matent.
Le genre de phrase qu'elle prononce parfois et qui rendent Dimitri fou amoureux.
Dans trois heures ils seront peut-être dans un train filant vers la Pologne. Deux ados en fugue, amoureux et défoncés, deux créatures préhistoriques voulant tenter leur chance dans ce monde.
Grimper dans un train sans espoir de retour, animé de la même fougue que si on se jetait dessous.
L'amour n'est pas une maladie infantile.
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